Le Dr Esdras Jean Louis est une figure tutélaire, connu et apprécié de tous ceux qui ont fréquenté la Faculté d’odontologie et/ou la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti au cours de ces 15 dernières années. Impliqué dans toutes les activités ou presque, il était devenu au fil des années un modèle pour plusieurs générations d’étudiants en sciences de la santé.

Chef d’orchestre des dernières graduations de la faculté de médecine de l’UEH, premier supporteur des activités sportives, organisateur d’événements culturels, maître de cérémonie des journées scientifiques à l’occasion, il était cet étudiant devenu médecin qui n’a jamais cessé d’arroser les racines professionnelles qui le lient à l’alma mater.

Dans le cadre d’une série d’entrevues réalisées par Le Nouvelliste, il a accepté d’égrener tel un chapelet les péripéties qui l’ont poussé à quitter le pays. Formé à la Faculté d’odontologie de l’Université d’État d’Haïti, le Dr Esdras Jean Louis a bouclé ce premier cycle d’études en 2013. Depuis, il a toujours su trouver une formule pour servir la population gonaïvienne où il a fait son service social. “Je n’avais jamais pensé à quitter le pays, jamais”, précise-t-il en début d’entrevue.

Parallèlement à sa vie professionnelle comme chirurgien-dentiste, il a fait ses études de médecine à l’Université d’État d’Haïti. Avant de devenir cet étudiant omniprésent que tout le monde respecte, c’est à travers son cabinet de soins dentaires en face de la Faculté d’odontologie qu’il s’est fait connaître.
Chirurgien-dentiste de premier choix des étudiants, spécialiste qui soigne les petites bourses, il faisait un va-et-vient sans interruption entre la faculté de médecine, l’hôpital général et son cabinet médical.

Entrepreneur à succès, plus d’un rêvait d’avoir sa carrière faite de discipline et de persévérance. Après sa formation de médecin, il s’est consacré entièrement à la pratique de ces deux professions. Puis, commencent les moments de galère de ce jeune professionnel. “J’habitais à Carrefour dans une maison familiale avec ma femme et mes enfants avant que la route de Martissant ne devienne impraticable”, raconte-t-il. Après quelques mois de résistance, son optimisme se transforma en réalisme; il a quitté Carrefour pour aller habiter à Delmas. “Toutes mes activités se trouvaient en ville, je ne pouvais pas risquer ma vie à faire ce voyage chaque jour. J’ai dû déménager à Delmas 83”, fait-il savoir.

À Delmas 83, le Dr Jean Louis allait connaître une période d’accalmie. Il a délogé sa clinique au centre ville pour pratiquer au Complexe médical La famille à Delmas 67. Là-bas, il a connu un essor professionnel exceptionnel avec une clientèle diversifiée. “Pour un jeune professionnel, je gagnais très bien ma vie en Haïti”, a-t-il confié.

Dans la foulée, il a bénéficié d’une bourse du ministère de la Santé publique et de la Population pour une spécialisation en oto-rhino-laryngologie à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti. Tandis qu’il débutait sa spécialisation, Delmas 83 est devenu un centre hyperesthésique où se déroulait beaucoup de cas de kidnapping. “Je savais que j’allais devoir quitter Delmas 83. J’en avais parlé avec ma femme, c’était trop stressant, notamment quand on a des enfants. Le déclic est venu après que des voleurs ont cassé les vitres de ma voiture chez moi”, se souvient le Dr Esdras Jean Louis.

Conseillé par quelques amis, le médecin déménage à Laboule. Il planifie même d’acheter un terrain à Laboule 12 pour construire sa propre maison. “Les dates sont encore dans ma tête, je ne peux pas les oublier. Samedi 6 août 2022, des bandits ont assassiné l’ex-sénateur Yvon Buissereth et son chauffeur. Depuis, on commence à monter un calvaire à Laboule. Je devais appeler pour savoir si je pouvais sortir, et appeler pour savoir si je pouvais rentrer. Les enfants n’en pouvaient plus d’entendre le bruit des projectiles et de devoir dormir régulièrement sous leur lit”, glisse-t-il, la voix chargée d’émotion.

L’assassinat de l’ancien candidat à la présidence Éric Jean Baptiste, le 28 octobre 2022, a été un autre tournant dans sa vie. Il a compris, si besoin était, à quel point la situation était devenue intenable. “D’un autre côté, il y a ma femme qui est anesthésiologiste et médecin de service à l’hôpital universitaire de Mirebalais qui devait affronter régulièrement les balles assassines du gang 400 Mawozo pour aller travailler. Vous comprendrez à quel point on était déboussolés”, lâche- t-il.

Déjà, l’idée de quitter le pays commençait à prendre une place dans cette famille de professionnels en pleine expansion. “On avait déjà appliqué pour un programme au Canada. Soudain, mon fils commence à me dire qu’il voulait aller là où il y a de la neige et qu’il ne souhaitait plus rester dans ce pays”, se rappelle-t-il, non sans amertume.

“Le programme du président Biden auquel je n’avais pas prêté attention au début a été une bouffée d’oxygène pour ma famille. Un supporteur a rempli le formulaire de parrainage en ligne en notre faveur le 8 février, la demande a été approuvée le 10 février. Entre-temps, on a dû nous libérer de nos obligations professionnelles, et quitter le pays le 12 mars 2023”, explique le Dr Esdras Jean Louis.

“Avant je ne pouvais pas me rendre aux Gonaïves loin de ma mère et ma sœur sans verser des larmes, mais pour le programme Biden et la situation invivable dans laquelle j’étais, je n’ai pas éprouvé de regrets, je n’ai pas pleuré”, avoue-t-il.

Nombreux sont les professionnels qui ont dû faire le même choix. Les professionnels de santé, 6,5 pour 10 000 habitants en 2017 selon l’OMS, semblent être en tête de liste de ceux qui partent. Soit ils ne peuvent plus résister, soit ils ont compris comme Christiane Taubira que parfois résister c’est partir.

 

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