Selon le dernier décompte de l’ONU, la Police nationale d’Haïti compte dans ses rangs 9 000 agents en service. Cela donne un ratio de policier par 100 000 habitants en dessous de la norme internationale. En plus de cette contrainte d’effectif, l’institution policière ne dispose pas de matériels adéquats ni suffisants pour contenir l’expansion et la multiplication des gangs armés dans le pays. Des blindés commandés par l’Etat haïtien, en 2020 et en 2022, sont livrés au compte goutte par la firme canadienne Inkas.

Selon plusieurs sources qui se sont confiées au journal, les problèmes de la PNH ne se limitent pas à un manque d’effectif ou d’équipements. Selon un ancien Directeur général de la Police, au fil des années, l’institution policière, est de plus en plus minée par des crises internes.

Selon cette source qui a voulu garder l’anonymat, chacune des influentes bandes armées qui ferraillent dans la région métropolitaine compte au moins un agent de la PNH. « C’est une lapalissade. Les gangs infiltrent la PNH et y recrutent des membres. Cela complique les interventions de la police », fait remarquer cette source.

Plusieurs organismes de défense des droits humains, notamment le RNDDH, ont alerté sur l’existence de relations entre des agents et des gangs armés. En 2021, le directeur exécutif de ladite organisation avait révélé que des matériels de police se sont retrouvés aux mains de bandits qui ont commis des exactions à Pont Rouge et à Cité Soleil. Jeudi 16 février 2023, Pierre Esperance, intervenant sur Magik9, avait alerté sur des collusions entre des agents de police et le chef de gang Vitelhomme Innocent.

« Dans certaines juridictions de Port-au-Prince, la Police nationale d’Haïti est infiltrée par le gang  ”Kraze baryè”, dirigé par Vitel’Homme Innocent, spécialisé, selon la police, dans des enlèvements et séquestrations contre rançon, assassinat, viol, vol à main armée, vol de véhicules, destruction de biens. Le gang est alimenté par des hommes en position d’autorité et de pouvoir. (…) Bon nombre de policiers dans des commissariats et sous-commissariats de la zone métropolitaine sont payés par Vitel’Homme Innocent, redoutable chef de gang, et lui fournissent des informations en contrepartie. Les responsables de la PNH au plus haut niveau sont au courant de cette pratique mais rien n’est fait pour y remédier », avait dénoncé Pierre Espérance.

En plus des partages d’informations sensibles et stratégiques avec les gangs armés, cet ancien haut fonctionnaire de police a révélé que certains policiers sabotent les matériels de l’institution. Ce, pour affaiblir ses capacités d’intervention. « Ils provoquent des pannes, font disparaître des pièces, détournent les réserves de carburants, etc. Ils avertissent les bandits sur les parties des véhicules (blindés) qui ne sont pas protégées », a fait remarquer cette source qui connaît très bien la PNH et ses travers.

« Il faut un vetting au sein de l’institution. C’est extrêmement important. Parce que le corps confronte des problèmes internes: affiliation aux gangs et à Fantom 509; manque de loyauté; trafic d’influence; politisation, etc. Ensuite il faut un accompagnement de la communauté internationale », a poursuivi cette source.

Ce ne sont pas les blindés qui vont résoudre le problème 

Le manque de blindés est régulièrement mis en avant pour expliquer l’absence de réponse de la PNH à la violence des gangs. Selon cet ancien haut fonctionnaire, le problème est beaucoup plus complexe. « En terme tactique, le blindé n’est pas nécessairement un outil de travail. Quand un policier rentre dans un quartier hostile, s’il ne fait que se réfugier dans le véhicule, celui-ci deviendra son cercueil. Les agents doivent descendre, repousser l’ennemi et progresser sur le terrain, en utilisant l’engin comme bouclier. Mais un agent de plus vingt ans de service n’a pas la même vigueur et la même condition physique », fait remarquer cet ancien DG.

Un haut commandement en mode ôte-toi que je m’y mette 

Plus loin, cette même source a poursuivi en avançant qu’en dépit du nombre élevé de policiers formés, les stratégies et les réflexions manquent à l’institution. « Le haut commandement de la police est beaucoup plus malade que le commandement intermédiaire. De 2007 à aujourd’hui, il y a eu plus de 50 commissaires divisionnaires et inspecteurs généraux qui ont été formés à Washington ou dans d’autres centres de formation à l’étranger. Ils n’ont qu’une obsession: devenir directeur général. En conséquence, ils ne collaborent pas avec le commandant en chef, n’attendant que son échec pour être propulsé au devant de la scène. L’unité d’efforts n’existe pas », regrette cet ancien haut fonctionnaire, estimant que, dans ces conditions, il est peu probable que la demande d’Haïti d’une assistance internationale de sécurité soit suivie d’une réponse positive.

Intervenant à la matinale de Magik9 le 14 mars dernier, l’ancien DG Mario Andrésol avait également évoqué les problèmes de gouvernance au sein de l’institution qui, selon lui, peuvent expliquer la réticence de l’international.

« Nous ne devrions pas nous étonner par rapport à la réticence de l’international à nous vendre du matériel, nous fournir une aide quelconque puisque les acteurs internationaux n’ont pas en face d’eux  une institution fiable… ; une institution en laquelle la population croit et qui s’inscrit dans une démarche institutionnelle pour aborder la question de sécurité », avait expliqué M. Andrésol.

Andrésol avait rappelé qu’au cas où des soldats étrangers accepteraient de fouler le sol national, il faudrait établir un modus operandi. « C’est sûr qu’ à un moment donné, s’ils ont une suspicion qu’au sein de l’institution certains agents sont impliqués dans des dossiers louches et illégaux, ils ne pourraient pas endosser la responsabilité de faire le travail de la police à notre place», avait-il argumenté.

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